Classement : Faute de moyens et de personnel, la préfecture, qui a hérité de ces dizaines de mètres d'archives révolutionnaires, en plus des montagnes de papiers confisqués aux nobles et aux maisons religieuses, se contente de les ignorer durant près de trois quarts de siècle. Les archivistes départementaux se consacrent tour à tour à d'autres travaux de classement. En effet, en 1874, à l'arrivée de Vayssière à la tête du service des Archives départementales, le procès-verbal de récolement nous apprend que jusqu'alors, aucune espèce de classement n'a encore été effectuée dans la série L. Le ministre de l'Intérieur donne l'ordre à Vayssière d'entreprendre la réorganisation des archives. " Quand ce dépouillement sera terminé, M. l'archiviste entreprendra les révisions des séries L et Q et les classera conformément à des instructions que je fais préparer et qu'il recevra ultérieurement. Ces séries contiennent généralement des titres provenant des établissements supprimés qui viendront augmenter les divers fonds antérieurs à 1790 ". Vayssière se met à la tâche et opère avec succès un premier tri. Ce travail a permis à son successeur, Joseph Brossard, de mettre, dès son arrivée à la tête du service, en 1880, " les registres et papiers provenant de la Révolution... facilement à la disposition des érudits et des travailleurs. Ils ont donné lieu à de fréquentes communications qui profitent à d'estimables travaux sur la Révolution dans l'Ain ". Brossard fait allusion à deux publications majeures sur le sujet : celles de Charles Jarrin et de Philibert Le Duc. Puis, à partir du printemps 1883, l'archiviste et son auxiliaire procèdent à un dépouillement systématique des séries L et Q " qu'il s'agit de classer et d'inventorier selon la teneur et les prescriptions de la circulaire du 11 novembre 1874. Ce travail, pour être mené à bien, demandera plusieurs années ; la partie matérielle en sera faite, sous mon contrôle et avec mes avis, par l'employé auxiliaire, qui est d'ailleurs parfaitement rompu au mode du dépouillement et du classement sur fiches. Cette opération, longue et patiente, ne saurait, en aucun cas, porter préjudice en rien au service ordinaire ni aux exigences journalières du dépôt ". L'année suivante, en 1884, le travail d'analyse est achevé et le répertoire de la série L compte 960 fiches. Brossard complète son rapport en écrivant : " Je vais m'occuper du classement et de la répartition des fiches en suivant les prescriptions de la circulaire de 1874 et, quand ces fiches auront reçu définitivement le rang qui doit leur être attribué, je ferai coucher, tout au long, sur un registre spécial, cet inventaire jusque-là volant et fragile ". Cet instrument de recherche de 258 p. in-f°, formé d'un inventaire et d'une table, restera, pendant plus d'un demi-siècle, le seul outil d'accès aux archives de la série L. En 1897, Joseph Brossard est remplacé par un ténor de l'Ecole des Chartes, Octave Morel. Dans un rapport adressé le 6 février 1899 au préfet de l'Ain, le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts souligne que Morel, à son arrivée, " a trouvé… que les séries L et Q, qui se rapportent aux dossiers des administrations de l'époque révolutionnaire, avaient été mises en ordre et cataloguées sommairement. Il n'y a donc plus à s'occuper de ces parties des collections départementales, si ce n'est, comme le demande avec raison M. l'inspecteur général en son rapport, pour étiqueter au dos les registres qui sont numérotés sur le plat de la couverture ". Plus critique dans son récolement du 8 novembre 1901, Paul d'Arbois de Jubainville, archiviste par intérim, fait apparaître que les archives de la Révolution sont en fait totalement éclatées et le classement et l'inventaire réalisés par Vayssière et Brossard sont loin d'être complets. Mais lorsque Octave Morel réintègre son poste en 1902, il se choisit d'autres priorités : les archives des séries B, C, D, E, G, H…, les archives communales de Châtillon et bien d'autres choses encore. Au vu de la montagne de ses réalisations, on lui aurait facilement pardonné d'avoir délaissé la série L, mais c'était mal le connaître. Sans compter qu'un certain Eugène Dubois, tout à son " Histoire de la Révolution dans l'Ain ", devait lui rendre de nombreuses visites tant amicales qu'intéressées pour forcer l'accès aux archives de la Révolution. Dans les années 1930, l'infatigable Octave Morel se lance donc dans une gigantesque entreprise : le classement des 147 registres du directoire du département et l'analyse de chacune des délibérations qui ont été prises. Pourtant, malgré la qualité de l'inventaire qu'il publiera en 1935, le travail de dépouillement systématique des registres du département n'avait couvert que 10% du volume général des archives de la série L. Sans doute Octave Morel aurait-il pu donner une suite à cet inventaire qu'il avait courageusement qualifié de " Tome premier ", si, en 1936, la retraite n'était pas venu le détourner de ses activités professionnelles. Le 30 décembre 1942, l'archiviste Dropet, dans son " Plan de travail ", établit qu'il " sera bon de regrouper autant que faire se pourra, dans une même salle, les mêmes séries disséminées dans deux ou trois salles ". C'est le cas entre autres de la série L. " Il faut ensuite, écrit M. Dropet attaquer le plus tôt possible l'inventaire ou plutôt le répertoire numérique de la série L qui fera suite à l'inventaire déjà publié par M. Octave Morel des 147 premiers articles. L'idée d'un répertoire plutôt que celle d'un inventaire était celle de M. Morel et je crois que c'est la meilleure. Mais il s'agit d'un gros travail, en raison de la masse des documents à rassembler, et, si une partie - la plus importante - des documents révolutionnaires est groupée en chemises portant les indications : " département, districts, cantons ", de nombreux autres papiers sont épars, sans indication dans le dépôt et d'autres enfin font encore partie des séries modernes M, P, S. De plus, à la suite d'un sondage dans la partie groupée des documents, je me suis aperçu que le contenu des liasses ne correspond en aucune manière à l'indication portée sur l'étiquette. D'où je crains beaucoup la noyade ". " Quoiqu'il en soit, c'est par là qu'il faut commencer, à ce que je crois, en y ajoutant les tribunaux révolutionnaires qui sont dans un désordre effroyable. " Le Directeur des Archives de France approuve son plan de travail, mais précise toutefois, " le répertoire numérique de la série L devra comprendre toute la série, y compris les 147 articles inventoriés par votre prédécesseur Morel. " Avant de quitter son poste, vingt-cinq ans plus tard, Jacques Dropet aura juste le temps de classer les archives du directoire du département et des districts. Mais le classement est resté inachevé puisque les archives judiciaires n'ont pas été touchées et que l'inventaire ne sera jamais imprimé. On ignore presque tout du sort réservé aux archives judiciaires. Eugène Dubois, dans son ouvrage, fait pourtant référence à des cotes d'archives du tribunal criminel. Et certains documents portent eux-mêmes des pastilles numérotées, ce qui tend à indiquer qu'une ébauche de classement a été réalisée à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe. Malheureusement, l'inventaire qui a été rédigé à l'époque n'a jamais pu être retrouvé.